J'en ai parlé dans mon précédent article sur l'hygiène en développement, quand j'ai abordé la folie de la compétition, et j'ai eu envie d'approfondir le sujet et te partager mon ressenti.
Ce n’est pas un scoop, notre magnifique milieu du développement est parfois (souvent) hostile (de raie).
Autant se l’avouer, c’est bien tristement souvent une affaire d’égo. Mais tâchons de ne pas non plus blâmer, d’une part parce que cet égo mal placé est plus subi que volontaire (même pour la personne qui peut faire prevue d’égo) et que ce serai cocasse de blâmer dans un article qui parle de blameless.
Je pèse mes mots quand en effet je dis “subi”, le blâme et l’égo ne sont pas, selon moi des propriétés innées et intrinsèques chez l’humain. Ce sont plus des système de défense automatiques qui s’enclenchent quand il y a perception d’une menace.
Mais ces systèmes sont d’énormes consommateurs d’énergie, c’est en cela que je ne les crois pas innés. Un être humain seul et reclus aura tendance à moins développer d’égo ou de compétences à dégrader l’alter (même si c’est cette même altérité qui nous construit également).
Je partage assez la vision de Rousseau sur la question :
"L’homme est naturellement bon."
Émile ou de l’éducation (1762) — Jean-Jacques Rousseau
Selon moi, un être humain, n’est pas corrompu par essence mais par son environnement.
C’est donc tout le paradoxe, dans un environnement isolé, développer du blâme et de l’égo consomme de l’énergie, mais dans notre environnement, notre monde du développement, c’est l’inverse, c’est le fait de s’efforcer de faire de l‘egoless et du blameless qui consomme de l’énergie. Pourquoi ?
Parce qu’étant donné que c’est un problème subi et non inné, il y a une forte adhérence avec les conditions d’environnement. L’environnement agresse ces systèmes de défense en permanence, les remet en cause, voire attaque la personne. C’est ici, un sentiment de syndrome de l’imposteur, là une moquerie déplacée. Le système va donc tenter par tous les moyens de s’en protéger, quitte à se fermer, être uniquement défensif, moins sociable, voire carrément antipathique (et on le comprend). Malheureusement, cela atteint les autres personnes, qui à leur tour connaîtrons, avec de fortes probabilités, la même expérience, telle une traînée de poudre.
Et l’erreur que l’on commet, et c’est fort dommage, c’est l’erreur fondamentale d’attribution, on va attribuer à tort ce besoin — cet appel à l’aide quelque part — à des causes internes à la personne :
“Iel est comme ça, c’est son caractère de toutes façons.”
Au lieu de prendre en compte les causes externes :
“Sa réaction est compréhensible, iel se sent exclu•e, iel n’est pas mis en confiance, n’est pas écouté•e”
Ce faisant, nous avons tendance à nier l’environnement pour nous consacrer uniquement — et par facilité — à des questions de caractères, d’état. Ce qui est dommage car la première étape pour résoudre un problème, c’est de reconnaître qu’il y en a un.
Et franchement, savoir que l’environnement est le problème, c’est plutôt une bonne nouvelle si tu veux mon avis, car s’il est une chose que nous autres êtres humains savons bien faire, c’est agir sur notre environnement (en bien comme en mal).
Tout comme les barbapapas (c’était trop bien tmtc) nous savons nous adapter, nous le faisons d’ailleurs tout le temps, sans nous en rendre compte, par l’habitus.
Bon alors Marcy en parle bien mieux que moi, d’ailleurs tu peux retrouver son talk ici. Je vais certainement en parler avec beaucoup moins de finesse d’esprit qu’elle (c’est ce qu’on nomme l’effet bulldozer) l’habitus a été défini par Pierre Bourdieu comme à la fois une conséquence et une cause de nos structures sociales.
C’est d’abord la conséquence des schémas et du conditionnement social qui se construit pendant notre éducation et qui se continue pendant notre adolescence. Ce conditionnement va créer une structure sociale qui nous est propre.
Et c’est ensuite la cause des structures sociales qui restent à l’âge adulte et qui vont influencer notre vision, nos choix, nos mœurs et même nos fréquentations.
Arrivé ici, tu dois te demander où je veux en venir.
Eh bien je veux te parler de groupe, parce qu’aussi paradoxal que cela puisse sembler, l’égo ne se suffit pas à lui-même, l’égo cherche à être validé, l’égo a soif de reconnaissance. L’habitus, cause de notre conditionnement social adulte, va structurer ce besoin, et c’est ainsi que “naturellement” nous allons avoir une propension à vouloir appartenir au groupe majoritaire, on aspire à être accepté par la tribu, et on craint le rejet. Parce que la volonté d’appartenance et la peur du rejet sont deux facettes d’une seule et même pièce, et cette pièce, c’est notre égo.
Et c’est précisément à cette étape que cela va nous jouer des tours.
Alors je vais te demander quelque chose, tu peux le garder complètement pour toi seul•e, mais n’as-tu jamais ressenti ce besoin de se moquer d’un code “pourri”, ou de clamer que telle bonne pratique est excellente, ou que telle autre est “naze”, le tout en cherchant des yeux l’approbation d’un pair ?
"Hé, regarde ce code mal écrit, tu as vu ? Si je suis capable de le voir, c’est que je suis compétent•e non ? Hein ? Dis-moi oui ! Valide moi."
Je suis persuadé que tu connais ce sentiment (je parle uniquement de la sensation là, je caricature évidemment). En tout cas sache une chose, ne culpabilise pas, on l’a toustes fait, et cela nous arrive de temps en temps.
Ce qui est important, c’est d’en pendre conscience, savoir que nous avons des biais ne les corrige pas miraculeusement, mais il ne dépend que de nous d’être indulgent•e•s envers nous-mêmes (et envers les autres, mais ça, cela devrait aller de soi).
Bon, je n’ai pas fait de latin depuis extrêmement longtemps, mais ce que je voulais, c’est remettre au goût du jour le fameux “Cogito ergo sum” (”Je pense, donc je suis”) de ce cher Descartes. “Je pense donc l’égo est inutile”.
Ne me tapez pas les latinistes, en effet on pourrait même traduire par “Je pense donc je suis inutile” à cause du double sens en latin du terme “ego”, mais en vrai, je pense que cette idée là se dirait plus “Cogito ergo frustra sum”, bref, ce détail est inutile ici.
Notre métier est humain, notre métier demande des interactions sociales, il est loin le mythe de la tour d’ivoire, c’est justement ce qu’itel doit rester, un mythe. Dans ses interactions sociales et professionnelles, l’égo n’a pas sa place, l’égo pollue et brouille les communications, il rend une bonne partie de notre travail quotidien inefficace, et le pire, c’est qu’il ne permet pas forcément de progresser dans sa carrière. Le plus vite on s’en débarrasse, au mieux c’est.
Bon je ne suis pas là pour donner des leçons en mode “l’égo, c’est tabou, on en viendra tous à bout”, je donne juste ce que j’ai vécu, bien sûr qu’itel reste toujours une part d’égo, et bien sûr que ce n’est pas simple de tous les jours faire cet effort de le réfréner, encore qu’avec le temps cela devient de plus en plus simple, un peu comme si on entraînait notre cerveau comme un muscle.
J'en ai d'ailleurs fait l'expérience cette semaine, avec beaucoup d'humour, sur twitter en allant volontairement dans un excès de mauvaise foi et de joute purement verbale sans fondement, avec une autre personne. L'échange s'est bien terminé somme toute, merci d'ailleurs à cette personne pour ce moment de détente 🤭.
L’humilité demande un effort, mais cet effort en vaut la peine.
Alors voilà, sans être totalement exhaustif, j’ai rassemblé quelques mises en pratiques qui se sont avérées salvatrices pour baisser l’égo et le blâme, car après le pourquoi, c’est bien d’aborder le comment.
Oui, les bonnes pratiques c’est top, que ce soit en code ou autre, c’est un peu le premier pas vers une structure plus solide, elles apportent les premières briques de constance, elles rassurent, elles donnent de la confiance. Mais itel ne faudrait pas les avoir “trop à cœur”, ce sont de simples outils, et selon le contexte telle ou telle bonne pratique peut s'avérer totalement contre-productive.
Donc à trop vouloir coller à un lot de bonnes pratiques, à trop vouloir les conserver, voire les défendre, on se perd.
Non mais sérieux, tu te vois défendre un tourne-vis par rapport à un marteau ? Cela n’a pas de sens, sans déconner.
Donc les bonnes pratiques et les principes sont des outils et rien d’autres, des outils qui viennent enrichir notre panoplie, notre caisse à outs’, et dont on peut disposer selon le besoin. On ne va pas utiliser un tourne-vis pour planter un clou tout ça parce qu’on aime bien ce tourne-vis et qu’on l’a toujours utilisé !
Je vais sûrement te décevoir, mais ton code ne sera jamais parfait.
Voilà, ça, c’est dit 😬
Bon c’est le cas pour nous toustes, le code parfait est un code qui n’est pas écrit, c’est une chimère. Écrire, c’est prendre une direction, avec ses choix et ses outils, donc par essence, cela ouvre des voies mais en ferme d’autres.
Donc ôte-toi cette pression monumentale de faire un code écrit à la perfection, tout le monde en lisant ton code retrouvera quelque chose à dire, et c’est même super parce que cela signifie qu’iels sont curieux•euses et qu’iels prennent le temps de lire ton code ☺️
Tu vois la loi de Murphy ?
"Tout ce qui est susceptible d’aller mal, ira mal"
Dans le monde du développement, cette loi fonctionne super bien, on dirait même que c’est la loi fondatrice du développement.
"Tout code susceptible de casser, finira, tôt ou tard, par foutre la merde"
C’est une des raisons pour lesquelles on fait des tests, c’est une ceinture de sécurité, un garant de confiance. En mettant soi-même et son équipe en confiance sur la code-base, iels auront moins de stress, et se sentiront plus libres de tenter des approches différentes, puisque les tests seront là pour garantir une sécurité. Donc tu remets de la créativité dans ton équipe, ce qui, à mon sens, permet d’en tirer le meilleur.
Alors peut-être pas dans le sens premier de l’expression, mais ce que je veux dire, c’est d’accepter l’échec, de ne pas le craindre ou pire, essayer de l’éviter à tout prix. Un échec est une information.
D’ailleurs c’est comme ça que notre cerveau apprend, grâce à une succession d’échecs (et d’encouragements aussi, mais c’est un corollaire, si on a besoin d’encouragements, c’est parce qu’on n’aime pas, culturellement, l’échec.).
Un échec, ça se prend comme tel.
Un échec, c’est une occasion en or d’apprendre, de voir que se planter, ce n’est pas si mal.
Du coup conclusion :
"Cherche la merde, tu trouveras de l’or"
Même dans notre champ d’expertise, on n’a pas la science infuse, c’est même dangereux de le croire. Un•e expert•e n’est pas omniscient•e, en revanche, c’est une personne capable de discernement sur les sujets qu’elle maîtrise.
Tu as le droit de ne pas savoir, tu as le droit d’oublier aussi, et tu as le droit de le dire, en fait, je te conjure même de le dire. Les gens sont heureux quand tu ne sais pas, tu leur permet de t’expliquer, et les gens adorent expliquer ce qui les concerne (leur métier, leur passion, etc.).
Puis cela entraîne ton écoute, et ton empathie (#EDD).
Donc dis, expose ce que tu ne sais pas, ne cherche pas à te justifier ou pire, faire comme si tu savais, ce n’est pas grave.
Et c’est pareil quand tu n’a pas compris. Même si on a le sentiment de passer pour moins malin que ce qu’on est, demande des précisions, demande. Faire semblant d’avoir compris, par crainte ou pudeur, c’est s’assurer de buter plus tard sur le projet.
Bon déjà si en 2022 il est encore des personnes qui estiment qu’une question est idiote, laisse-moi te dire qu’ils sont plus idiots que la question.
On peut mal comprendre un terme, une expression, on peut ne pas avoir tout le contexte et donc peiner à comprendre. Donc toute question est bonne à poser, même celles que tu croives qu’elles sont vite répondues.
Puis questionner, c’est aussi s’intéresser, et ça, c’est apprécié.
Ce sera mon dernier pour cet article. Le principe à appliquer pour soi et aussi pour les autres.
Je te propose de répéter en mettant ta main sur le cœur :
“je jure solennellement de toujours supposer que les développeurs•euses ont pris la meilleure décision possible compte tenu du temps et des circonstances.”
Il est simple et court, mais à utiliser sans modération, toujours partir du principe que les personnes essaient de faire de leur mieux.
Oui c’est dur de se débarrasser de son égo. Mais nous avons des relations humaines et professionnelles au sein desquelles l’égo, non content d’être inutile, est délétère.
Savoir rire de soi tout en étant pleinement confiant de ses forces et de ses faiblesses (sans égo) et en ne blâmant pas les autres, c’est vraiment un super pouvoir.
Mais ce pouvoir n’est pas inné, il demande du temps et de la patience pour grandir et s’épanouir, et ça demande du courage (Pooookéééémoooon).
Je n’ai pas fini de m’entraîner non plus là dessus, mais j’espère avec le temps être de plus en plus doué 🤭
Mais surtout, j’espère que si tu as lu jusqu’ici, c’est parce que tu y as trouvé un intérêt, et si j’ai pu donner ne serait-ce que l’envie d’essayer, ou au contraire si j’ai pu te rassurer sur ce que tu fais déjà, c’est super.
Bref, pour finir, je pose ça ici :
https://www.youtube.com/watch?v=RkRTy-6v4kE&t=22s
“Ego, bye bye”
Cet article est un chapitre d'une série de plusieurs articles